Droits d’auteur et enseignement

Introduction

Cela fait un bon moment que je souhaite faire un article sur le respect des droits d’auteur dans l’enseignement. Pourquoi ? Tout simplement parce que je constate que de plus en plus de personnes ne les respectent pas, soit de manière intentionnelle, soit parce qu’elles ignorent la législation. Je ne suis pas juriste, mais je me suis bien renseigné sur la question. Petite précision : toutes les informations publiées dans cet article concerne le droit français ; il peut être différent dans d’autres pays. Alors, on y va !

Le droit de propriété

Avant de parler de droit d’auteur, il est important de définir ce qu’est le droit de propriété. Le code civil le défini selon l’article 544 ainsi : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. » C’est un droit qui fait partie de la Constitution française. Cette dernière la définie ainsi « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Un point de terminologie. Le mot « oeuvre » est un mot très large que l’on doit comprendre ici comme une chose qui peut être : un livre, un site internet, un dessin, un texte d’une chanson, une photographie, un article lu sur internet, un fichier pédagogique, un document réalisé par un enseignant…

Le droit d’auteur

Il faut séparer 4 droits moraux essentiels que l’on retrouve dans toutes les licences d’exploitation des oeuvres :

  • le droit de divulgation : l’auteur décide de la manière dont il souhaite que son oeuvre soit divulguée ;
  • le droit de paternité : l’auteur doit toujours être associé à son oeuvre. Il est donc indispensable de citer la source de l’oeuvre.
  • le droit au respect de l’intégrité de l’oeuvre.
  • le droit de retrait et de repentir : l’auteur peut faire retirer son oeuvre qui se trouverait sur un site internet ou à un endroit sans l’autorisation de l’auteur. De plus, l’auteur devra être dédommagé du préjudice subi.

Il existe également des droits patrimoniaux :

  • le droit de reproduction : l’auteur est le seul à pouvoir décider des conditions de reproduction de son oeuvre. Il peut cependant céder les droits à un tiers (par exemple à une maison d’édition).
  • le droit de représentation : c’est le droit que peut accorder l’auteur pour une diffusion publique de l’oeuvre. Ça peut être le cas dans nos écoles lorsque nous faisons des pièces de théâtre et que les enfants les présentent aux parents. Dans ce cas, il faut une autorisation de l’auteur de cette pièce. C’est valable de la même façon pour des chansons, des poèmes récités pour une représentation publique…

Si une oeuvre a été réalisée dans des conditions illégales, elle ne peut pas être protégée par le droit d’auteur. C’est le cas notamment pour des graffitis réalisés dans des lieux dans lequel l’artiste n’avait pas l’autorisation d’accéder. Vous en conviendrez, ça ne concerne pas tellement nos élèves dans l’école.

Quelques exceptions que l’on peut appliquer au cadre scolaire selon l’article L122-5 du Code de le Protection Intellectuelle (CPI) :

  • « Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source« 
  • « Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées« . On peut donc utiliser des extraits d’articles, des citations… pour travailler avec nos élèves mais uniquement dans la classe.
  • « Les revues de presse » On peut travailler avec nos élèves sur des articles de presse dans la mesure où l’exploitation n’entraine aucune vente ni publication externe.
  • « La représentation ou la reproduction d’extraits d’oeuvres, sous réserve des oeuvres conçues à des fins pédagogiques et des partitions de musique, à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche, […] à l’exclusion de toute activité ludique ou récréative, dès lors que cette représentation ou cette reproduction est destinée, notamment au moyen d’un espace numérique de travail, à un public composé majoritairement d’élèves, d’étudiants, d’enseignants ou de chercheurs directement concernés par l’acte d’enseignement, de formation ou l’activité de recherche nécessitant cette représentation ou cette reproduction, qu’elle ne fait l’objet d’aucune publication ou diffusion à un tiers au public ainsi constitué, que l’utilisation de cette représentation ou cette reproduction ne donne lieu à aucune exploitation commerciale et qu’elle est compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire sans préjudice de la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l’article L. 122-10 »
    Dit autrement, on peut utiliser des documents à des fins pédagogiques (comme des photocopies de manuels) mais uniquement à destination de nos élèves. Il  faut cependant dédommager financièrement les auteurs de ces documents. Bien sûr, ce n’est pas l’école qui va dédommager directement les auteurs mais l’Éducation nationale à travers un contrat réalisé avec le CFC. Pour plus de détails, allez sur leur site qui a une page très claire pour les enseignants. C’est accessible directement par ce lien : Centre Français d’exploitation du droit de Copie.

Concrètement, comment savoir ce qu’on peut faire ?

Pour ce qui est de « l’utilisateur », la réponse est extrêmement simple : l’utilisateur doit respecter les droits et les autorisations donnés par l’auteur de l’oeuvre.

C’est bien beau tout ça, mais comment peut-on savoir si l’auteur a donné l’autorisation de diffuser, de modifier une oeuvre ? La réponse est relativement simple. Il faut regarder la « licence » qui est associée à l’oeuvre. Dans le cas des oeuvres qui nous intéressent à l’école, il est fréquent que les oeuvres soient protégées par une licence.

Qu’est-ce qu’une licence ?

C’est un document qui indique ce qui est autorisé de faire avec l’oeuvre et ce qui n’est pas permis. On va donc voir quelques licences parmi les plus fréquentes. Je dois préciser que les informations ci-dessous se veulent les plus concrètes possibles pour les cas qui sont présents dans l’Éducation nationale. Je ne rentre pas dans les détails de chaque licence pour ne pas perdre tous les lecteurs.

  • Les licences « libres ». Attention, quand on parle de libre, cela ne signifie pas que c’est forcément gratuit. En effet, il y a souvent confusion à cause du mot anglais « free » qui signifie à la fois « gratuit » mais aussi « libre ». Une licence libre est donc une licence dont l’auteur autorise la publication, la modification et la diffusion de son oeuvre avec la restriction que le nouvel auteur doit respecter l’autorisation de l’auteur originel. Dit autrement, vous pouvez faire ce que vous voulez de l’oeuvre tant que vous mentionnez l’auteur du document que vous utilisez. Si vous voulez ensuite distribuer l’oeuvre telle que vous l’avez modifiée, vous êtes obligé de la partager avec les mêmes conditions. Parmi ce type de licence, je cite surtout les licences « copyleft », GNU et CC by SA. Les licences libres sont typiquement l’ensemble des licences applicables aux « logiciels libres / open sources ».
  • Les licences « copyleft ». Il s’agit d’un jeu de mot pour s’opposer aux licences sous « copyright ». Ici, l’auteur de l’oeuvre permet d’utiliser, d’étudier, de modifier et de diffuser son œuvre, dans la mesure où cette même autorisation reste préservée. C’est à dire que tout le monde peut faire ce qu’il veut de l’oeuvre originale dans le mesure ou l’oeuvre « enfant » peut également être modifiée, distribuée… dans les mêmes conditions. Il s’agit des licences parmi les plus « ouvertes ».
  • Les licences Creative Commons. Ces licences sont très utilisées sur internet car elles ont pour objectif de partager les oeuvres tout en respectant certaines conditions. Je détaillerai ces licences un peu plus bas.
  • Le Copyright (©).  Contrairement à ce que de nombreuses personnes pensent, ce droit n’existe pas dans le droit français. Il s’agit d’un droit anglo-saxon. Avec cette licence, ce n’est pas l’auteur qui est protégé mais l’oeuvre. Si vous ne voyez pas tellement la nuance, je vais prendre un exemple : un auteur écrit un livre (un guide pédagogique par exemple) mais il ne sait pas comment le diffuser. Il demande donc la participation d’une maison d’édition pour diffuser l’oeuvre. L’oeuvre est donc partagée grâce à cette maison d’édition et non grâce à l’auteur. Les droits de « copyright » appartiennent donc à la maison d’édition. Comme ce n’est pas l’auteur qui est protégé par cette licence mais l’oeuvre, l’auteur n’est pas protégé par les droits moraux (voir « Les droits d’auteur » en début d’article). Rien n’empêche une oeuvre d’être modifiée sans l’accord de l’auteur. Les mentions « copyright », « tous droits réservés » ou « marque déposée » n’ont aucune valeur juridique en France.
  • Une autre licence ? Il n’est pas obligatoire de s’appuyer sur une licence pour publier une oeuvre. Vous pouvez écrire votre propre « licence » en indiquant ce que vous autorisez ou pas. J’en parle un peu plus bas.

Les licences Creatives Commons (CC)

Je vous propose un tableau avec les droits correspondants aux différentes licences CC :

Licence CC Copier Modifier Partager Montrer Usage commercial Même conditions de licence
Licence CC-BY-SA oui oui oui oui oui oui
Licence CC-BY-NC oui oui oui oui non non
Licence CC-BY-ND oui non oui oui oui non
Licence CC-BY-NC-SA oui oui oui oui non oui
Licence CC-BY-NC-ND oui non oui oui non oui

Quelques informations supplémentaires sur ces licences :

  • Le « BY » indique que vous devez créditer l’auteur et mettre un lien vers la licence correspondante.
  • Le « SA » signifie que vous devez publier votre nouvelle oeuvre dans les mêmes conditions que l’oeuvre originale.
  • Le « NC » signifie qu’il est interdit d’utiliser l’oeuvre à des fins commerciales.
  • Le « ND » signifie qu’il est interdit de modifier l’oeuvre.
  • En mixant ces restrictions, vous pouvez donc obtenir plusieurs licences CC différentes comme indiqué dans le tableau.
  • Avec ces licences, vous ne pouvez pas interdire la diffusion des oeuvres. C’est à dire qu’une personne peut « prendre » sur votre blog votre oeuvre et la partager sur son propre blog.

Quelle licence utiliser alors ?

De nombreux blogueurs et auteurs d’ouvrages pédagogiques s’interrogent sur la licence à mettre en place pour ce qu’ils font. Je vais essayer de vous conseiller en fonction des besoins que vous avez :

  • Vous souhaitez que votre oeuvre soit diffusée librement ? Dans ce cas, tournez-vous vers les licences « Copyleft » ou « Creative Commons » pour décider si vous voulez qu’elle soit modifiable (CC-BY-NC-SA par exemple) ou pas (CC-BY-NC-ND par exemple).
  • Vous voulez que votre oeuvre ne soit pas diffusée, c’est à dire qu’elle reste sur votre site par exemple ? Dans ce cas, il n’y a pas vraiment de licence de droit français qui le permet. En revanche, il vous suffit d’indiquer sur votre site (et c’est encore mieux si c’est sur chaque document) les droits que vous autorisez.
    Dans le cas présent, vous pouvez tout à fait écrire quelque chose comme : « Les contenus de ce site internet (ou de ce document), les images, les photos, les textes… sont la propriété de [NOM et Prénom de l’auteur]. Toute reproduction, représentation, modification, publication, adaptation de tout ou partie des éléments du site internet (ou du document), est interdite, sauf autorisation écrite préalable de [NOM et Prénom de l’auteur] ». Dans vos documents, vous pouvez indiquer : « Ce document est soumis au droit d’auteur. Les droits d’utilisation sont consultables ici : [Mettre un lien vers la page ou le document de votre site qui indique les autorisations/interdictions liées au document en question]. »
    Je vous conseille de mettre votre nom et votre prénom dans les propriétés des documents que vous réalisez. Vous pouvez également mettre un lien, toujours dans les propriétés des documents, vers les droits d’utilisation de vos documents.

Conclusion

J’espère que ces explications vous auront permis d’en apprendre un peu plus sur le droit d’auteur applicable à l’Éducation nationale et au-delà.

Je complèterai cet article au fur et à mesure en fonction de vos remarques et des questions posées.

Questions diverses

  • J’aimerais vraiment modifier un document (ce que la licence ne permet pas) pour ensuite le remettre en ligne. Comment faire ?

    Comme vous avez certainement compris, si l’auteur n’a pas souhaité que le document en question soit modifié et partagé, c’est qu’il a ses propres raisons. En revanche, rien ne vous empêche de faire une demande à l’auteur en lui expliquant les raisons qui font que vous souhaitez modifier et partager ensuite le nouveau document.

  • Puis-je prendre un document quelconque et le modifier pour ma classe ?

    Oui, vous pouvez tout à fait prendre un document sur internet et le modifier pour votre usage propre. Cela veut dire qu’il n’est ensuite pas possible de publier le nouveau document à vos collègues et encore moins sur les réseaux sociaux ou sur un blog. Vous ne pouvez l’utiliser que dans votre classe.

  • J’ai entendu dire qu’en tant que fonctionnaire, ce que je faisais appartenait à l’Éducation nationale, est-ce vrai ?

    Non, les enseignants sont titulaires des droits d’auteur sur les cours qu’ils élaborent. Mais comme pour les documents, il faut que le cours soit suffisamment « original », c’est à dire qu’il ne faut qu’il soit uniquement la restitution d’un cours donné par un autre enseignant. Dans ce cas, c’est ce dernier qui serait l’auteur et non l’Éducation nationale.

  • Je ne trouve pas de licence pour un document, est-ce que je peux en faire ce que je veux ?

    Non, en France, le droit d’auteur est indissociable de l’oeuvre. Les droits de l’auteur doivent être respectés (voir les droits tout en haut de l’article). Un usage personnel est donc possible mais pas un partage. Dans les faits, il n’est pas rare de voir des personnes utiliser des documents trouvés par-ci par-là sur internet sans le consentement de l’auteur. Si l’auteur vous demande de supprimer de votre site un document qui lui appartient (il faut aussi qu’il montre que ce document est bien le sien), il suffit de le faire et ça ne va pas plus loin. L’auteur peut néanmoins tout à fait demander que le document soit retiré d’un site internet et un dédommagement. C’est pour cela qu’il est recommandé de mettre sur chaque document les noms et prénom de l’auteur ainsi qu’un lien vers les autorisations afférentes au document.

  • Est-ce que je risque des sanctions si je publie des documents que j’ai modifiés sans autorisation de l’auteur ?

    Oui, pour toute oeuvre qui ne respecte pas les droits d’auteurs, vous vous exposez à une plainte de l’auteur du document original. Il pourra alors vous condamner à retirer le document en question ainsi qu’à une amende qui dépendra du préjudice subi.

  • Puis-je partager un document qui ne m’appartient pas sur un groupe Facebook ou sur Twitter ?

    Si l’auteur en a donné explicitement le droit, vous pouvez. Dans le cas contraire, ce n’est pas possible. En revanche, vous pouvez toujours écrire un article ou un post et mettre un lien vers la page sur laquelle ce document se trouve. En faisant comme ça, cela permet aux lecteurs de voir d’où vient ce document et de lire d’éventuelles recommandations de l’auteur. Il n’est pas correct de mettre uniquement un lien vers le fichier directement téléchargeable.

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